La forêt, l’arbre, le bois et nous

Marie-Christine Trouy-Jacquemet – avril 2020

L’histoire de l’Homme et de la forêt

Il y a quelques milliers d’années, l’invention de l’agriculture, la sédentarisation et la croissance démographique ont conduit l’Homme à défricher la forêt. Dès lors, en France, l’augmentation de la population a entraîné globalement une diminution de la surface forestière jusqu’en 1820 avant d’amorcer une reconquête du territoire.

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L’augmentation de la surface forestière française, liée entre autres à la déprise agricole, se poursuit encore aujourd’hui à un rythme de 0,7% par an. La forêt couvre 31% du territoire national soit 16,5 millions d’hectares. Elle est composée de 2/3 de feuillus et d’1/3 de résineux.

En France, la nécessité de gérer durablement la ressource forestière a été prise en compte dès la fin de XIIIème siècle avec la création du corps des Maîtres des Eaux et Forêts par Philippe le Bel.

En 2001, la loi d’orientation forestière intègre la notion de multifonctionnalité : 

« La politique forestière prend en compte les fonctions économique, environnementale et sociale des forêts et participe à l’aménagement du territoire, en vue d’un développement durable. Elle a pour objet d’assurer la gestion durable des forêts et de leurs ressources naturelles, de développer la qualification des emplois en vue de leur pérennisation, de renforcer la compétitivité de la filière de production forestière, de récolte et de valorisation du bois et des autres produits forestiers et de satisfaire les demandes sociales relatives à la forêt. La gestion durable des forêts garantit leur diversité biologique, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire, actuellement et pour l’avenir, les fonctions économique, écologique et sociale pertinentes, aux niveaux local, national et international, sans causer de préjudices à d’autres écosystèmes ».

L’ONF (office national des forêts) énonce clairement les 4 fonctions de la forêt :

Production de bois

Protection de la biodiversité

Accueil du public (activités sportives et récréatives)

Protection contre les risques naturels

Au-delà des bénéfices tangibles comme la fourniture de bois ou l’aménagement de lieux de promenade et de loisirs, les écosystèmes forestiers, et par extension la filière bois, ont un rôle à jouer dans le maintien du bien-être humain, en particulier dans un contexte de changement climatique.

Stocks, puits et sources de carbone

A l’échelle mondiale, la déforestation est une des causes de l’accentuation de l’effet de serre. L’exploitation forestière raisonnée impose une vision à long terme incompatible avec la déforestation. La récolte du bois n’est pas incompatible avec l’augmentation ou le maintien du volume sur pied si elle ne dépasse pas l’accroissement biologique.

Le bois : stock de carbone

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L’arbre est photo autotrophe : il fabrique lui-même sa propre nourriture, la sève élaborée, par photosynthèse à partir de l’eau puisée dans le sol (sève brute) et le CO2 de l’atmosphère. L’énergie nécessaire est fournie par la lumière solaire captée par le pigment chlorophylle. La réaction de photosynthèse libère de l’oxygène gazeux.

Les sucres contenus dans la sève élaborée constituent à la fois la matière première et l’énergie qui vont permettre à l’arbre de croître, de fleurir, de fructifier et de constituer des réserves.

L’arbre forme du bois toute sa vie et tout le carbone contenu dans le bois, à savoir 50 % de sa masse sèche, provient du CO2 atmosphérique ; l’arbre n’a pas d’autre source de carbone.

Le bois est donc un stock de carbone issu du CO2 capté par la photosynthèse de l’arbre.

A terme, le carbone contenu dans le bois retournera dans l’atmosphère sous forme de CO2 lors de sa biodégradation -par respiration des décomposeurs- ou lors de sa combustion. Mais tant que le bois est dans l’arbre vivant, le carbone est séquestré.

La séquestration du carbone peut être prolongé dans le bois mis en œuvre, sachant que le bois de construction a une durée de service de 75 ans en moyenne et que, par la suite, le bois de déconstruction peut constituer la matière première d’autres productions.

Cependant, la séquestration du carbone dans le bois finira par atteindre une limite. Finalement, l’effet levier réside surtout dans la substitution par le bois des énergies fossiles et des matériaux dont la fabrication dégage de grandes quantités de gaz à effet de serre.

De plus, alors que l’on consomme rapidement un pétrole qui se forme lentement, on peut parfaitement imaginer qu’un être humain, au cours de sa vie, voit pousser les arbres qui couvriront les besoins en bois de ses enfants.

L’intérêt du bois réside non seulement dans le fait que sa fabrication, gratuite et naturelle, retire du CO2 de l’atmosphère mais également dans sa nature renouvelable à l’échelle humaine. Par ailleurs, il se prête bien aux réemplois successifs, en ricochet, jusqu’à sa valorisation ultime comme source d’énergie.

L’arbre : puits de carbone

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Un puits de carbone est un stock qui augmente. L’arbre a une croissance continue mais il meurt aussi par morceau. Ainsi, tout en augmentant son diamètre, il peut se débarrasser de ses branches basses privées de lumière (élagage naturel) ou voir la partie centrale de son tronc devenir creuse suite à une blessure.

Aussi, l’arbre est un puits de carbone efficace pendant une période de forte croissance qui finit par ralentir chez les arbres plus âgés.

Couper les arbres à l’issue de cette période de forte croissance permet d’une part de produire du bois de bonne qualité, pour alimenter les entreprises de transformation du bois qui prolongeront la séquestration du carbone ; d’autre part de renouveler la forêt en remplaçant les arbres dont l’absorption de carbone ralentit, par de jeunes arbres plantés ou issus de la régénération naturelle.

La gestion durable des forêts intègre par ailleurs la nécessité de laisser d’autres arbres vieillir et mourir en forêt, pour la sauvegarde de la biodiversité en particulier celle des espèces qui nichent ou se nourrissent de bois mort.

La forêt : stock, source ou puits de carbone

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La forêt peut avoir un bilan nul en carbone si autant de carbone est fixé par photosynthèse que rejeté par décomposition ou incendie. Cela peut être le cas d’une forêt vierge, sans intervention humaine.

La forêt peut être une source de carbone en cas d’incendie massif, de tempête, d’épidémie ou d’exploitation irraisonnée.

La forêt gérée durablement est un puits de carbone, puisqu’une partie des arbres est récoltée avant de vieillir, mourir et se décomposer et qu’ils sont remplacés par de jeunes individus en pleine croissance.

La filière forêt/bois et l’effet de serre : atténuation et adaptation

Le cycle du carbone : la fixation du carbone par photosynthèse (flèche verte) doit être plus importante que les émissions par respiration, décomposition ou combustion (flèches rouges)

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La forêt a un rôle à jouer dans l’atténuation des changements climatiques tout en étant confrontée à une nécessité d’adaptation aux nouvelles conditions environnementales.

L’effet d’atténuation de la filière forêt-bois comprend 4 volets en lien avec la réduction du carbone atmosphérique :

Substitution du bois énergie aux combustibles fossiles

Substitution du bois aux matériaux à forte empreinte carbone

Absorption et séquestration du carbone par les forêts

Prolongation de la séquestration du carbone dans les produit bois.

Pour pérenniser ses effets bénéfiques, la filière forêt/bois doit s’inscrire dans un fonctionnement vertueux intégré au cycle naturel du carbone : le bois est produit, utilisé, éliminé sans jamais mettre en péril la ressource.

Par ailleurs, la sylviculture doit accompagner l’adaptation des forêts aux changements climatiques et prévenir les risques accrus comme les tempêtes, les incendies, la sécheresse ou les épidémies.

De nombreuses initiatives de plantation d’arbres sont lancées à travers le monde car les bénéfices apportés par l’arbre et la forêt sont multiples, parfois intangibles et immatériels.

Notre regard sur le bois

Au-delà de l’intérêt d’utiliser du bois pour permettre à nos sociétés de tendre vers la neutralité carbone, il convient de préciser que le bois est un matériau performant d’un point vue technologique.

Au regard de sa faible densité, il présente des propriétés mécaniques exceptionnelles, grâce à la structure composite multicouche de ses parois cellulaires avec une armature de cellulose noyée dans une matrice contenant de la lignine, constituant spécifique du bois qui lui confère sa rigidité et permet aux arbres d’être les plus grands êtres vivants sur Terre.

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La grande diversité des bois, de leurs propriétés et aptitudes, permet de répondre à de nombreuses contraintes. L’Homme l’a toujours utilisé et a su tirer profit de cette diversité d’essences, sélectionnant les bois les plus adaptés à telle ou telle utilisation.

Aujourd’hui, le bois est aussi utilisé sous forme de matériaux dérivés : poutres en lamellé-collé, panneaux contrecollés (CLT : cross laminated timber), panneaux contreplaqués, poutres lamibois (LVL : laminated veneer lumber), panneaux de particules, panneaux OSB (oriented strand board), panneaux de fibres, … Ils sont incontournables en construction où ils permettent des réalisations que n’autorise pas le bois massif (grandes portées, formes courbes, légèreté…). Ils contribuent à une exploitation plus rationnelle de la ressource forestière en donnant des débouchés aux bois de petites dimensions ou une seconde vie aux bois de déconstruction.

Notre regard sur l’arbre

Ce qui lie l’Homme à l’arbre n’est pas seulement d’ordre utilitaire et pragmatique mais relève aussi du ressenti et de l’affectif.

La promenade ou la pratique sportive en forêt apportent un bien-être physique et moral. Grimper aux arbres est un des plaisirs les plus simples de l’enfance. Vivant à une autre échelle spatiale et temporelle que nous, l’arbre nous fascine et échappe à notre compréhension.

Souffre-t-il quand l’une de ses branches casse ou quand son tronc se fend sous l’effet du gel ?

Il est certain que l’arbre ne ressent pas la souffrance telle que nous la connaissons, car nos modes de fonctionnement sont incomparables.

L’immobilité ne permet pas à l’arbre de fuir ou d’avoir un mouvement réflexe rapide pour se soustraire à un danger ou une douleur. Son mode de croissance lui fait fabriquer chaque année de nouveaux tissus qui vont recouvrir et remplacer les vieux tissus. Il meurt par morceau, sacrifiant lui-même ses branches basses devenues moins efficaces pour capter la lumière (élagage naturel). Il est capable de corriger lentement sa posture pour se redresser s’il a été incliné par le vent. S’il est agressé ou blessé par les mandibules d’un insecte ou le bec d’un oiseau, il se défend chimiquement, circonscrit la blessure et la cicatrise en sécrétant des substances protectrices.

Les soins apportés par le sylviculteur aux arbres visent à produire du bois de bonne qualité sans « cicatrices », mais l’arbre seul est parfaitement capable de se défendre longtemps contre les multiples avaries auxquelles sa longue vie l’expose fatalement. Le vieil arbre creux et biscornu, au bois coloré et truffé de singularités garde le souvenir de sa vie mouvementée, qui ne doit souvent rien à l’Homme.

Tout ce qui est vital pour se trouve à la périphérie du tronc :

les zones de croissance : le cambium qui produit les tissus conducteurs et le phellogène qui forme les tissus protecteurs ;

les tissus conducteurs de sève : la partie périphérique du bois, l’aubier, qui conduit la sève brute et l’écorce interne, le liber, qui conduit la sève élaborée ;

les tissus protecteurs en particulier le suber (ou liège) qui peut s’accumuler sur de grandes épaisseurs.

La partie vivante du bois s’appelle l’aubier et forme une couronne périphérique autour du duramen, bois mort. En réalité, l’aubier contient beaucoup de cellules mortes, les cellules qui assurent la conduction de la sève brute et le soutien mécanique, associés à des cellules vivantes, les cellules de parenchyme qui jouent le rôle de stockage de réserves, et de défense.

La défense des arbres est chimique. Lorsque l’arbre est blessé ou agressé, il répond en produisant des tissus traumatiques ou des substances à action antimicrobienne, répulsive, cicatrisante ou imperméabilisante.

Le cambium des résineux peut ainsi produire de la résine traumatique qu’on va retrouver ensuite dans le bois sous forme de poche de résine.

Lorsque l’aubier est exposé à l’air après une blessure, le risque pour l’arbre est la déshydratation et l’entrée des microorganismes, bactéries et champignons de pourriture. Les cellules vivantes du cambium et de l’aubier vont réagir en « construisant des murs chimiques » autour de la blessure pour la circonscrire. C’est le principe de la compartimentation selon le modèle CODIT (compartimentalization of decay in trees) de Alex Shigo.

Simultanément à la compartimentation se forme un bourrelet de cicatrisation qui vise à refermer la blessure en la recouvrant d’écorce. Si la blessure est importante, elle ne se referme pas et certains « murs chimiques » cèdent sous la pression des micro-organismes qui année après année progressent dans le duramen jusqu’à rendre certains arbres complément creux. Ses arbres ne meurent pas pour autant car tout ce qui vital pour l’arbre se trouve en périphérie.

Conséquence d’une large blessure après 10 ans sur un érable

Autant dire que les arbres des villes ou de bord de route, dont les grosses branches sont presque systématiquement taillées, sont presque tous creux.

Les actions de l’Homme sur l’arbre

Les blessures lorsqu’elles sont peu étendues et peu nombreuses sont plus rapidement et plus facilement circonscrites et refermées si l’arbre est vigoureux.

L’élagage naturel permet à l’arbre d’éliminer les petites branches basses qui reçoivent moins de lumière. Une cicatrisation rapide évite la dégradation du bois et favorise la croissance d’un tronc exempt de nœuds, plus résistant mécaniquement, utile à la fois pour la vie de l’arbre et pour la qualité du bois. L’élagage naturel peut être encouragé par le sylviculteur.

En ce qui concerne l’élagage artificiel, les élagueurs peuvent être amener à grimper dans les arbres, à l’aide de cordes. Les griffes d’élagage ne sont pas utilisées sur les arbres vivants car elles risqueraient malgré tout d’endommager l’écorce. Plusieurs techniques de grimpes sont utilisées : grimpe libre (assurée par des cordes), grimpe « à l’anglaise » en rappel inversé ou encore en footlock, par blocage de la corde entre les pieds.

Les griffes d’élagage ne sont utilisées que lors de l’abattage, lorsque la chute de l’arbre entier n’est pas possible et qu’il doit être élagué et partiellement débité sur pied, en particulier pour les arbres à proximité des habitations.

Grimper dans un arbre à l’aide de piolets et de crampons « Cascade de bois®» qui s’enfoncent dans l’écorce sur une profondeur de 5 à 15 mm dans l’écorce, ne peut être envisagé que sur des arbres destinés à un abattage programmé dans un laps de temps suffisamment court pour être sans conséquences sur la qualité du bois.

Ces conséquences, liées à la réaction de l’arbre ou à l’entrée de microorganismes, n’auront certainement pas la même ampleur ni la même rapidité selon la saison.

L’auteur

Ingénieur de l’Ecole nationale supérieure des technologies et industries du bois (ENSTIB) et docteur en sciences du bois, Marie-Christine Trouy-Jacquemet s’est spécialisée en anatomie du bois en suivant une formation de xylologie fondamentale à Paris-Jussieu. Maître de conférences au Laboratoire de recherche sur le matériau bois (LERMAB) de l’Université de Lorraine, elle enseigne la biologie et l’anatomie du bois à l’ENSTIB et intervient dans d’autres formations, initiales et continues. L’anatomie du bois est une clé de compréhension d’une part pour la physiologie et la biomécanique de l’arbre, et d’autre part pour les propriétés physico-mécaniques du bois et de sa qualité en tant que matériau. Pourtant, cette discipline scientifique, en particulier dans son approche systématique, compte de moins en moins de spécialistes. Ce constat a conduit l’auteur à élaborer plusieurs outils pédagogiques en particulier un ouvrage et un MOOC qui abordent le bois à différentes échelles et de plusieurs points de vue : scientifique, forestier et industriel.

Pour aller plus loin 

Marie-Christine Trouy, Anatomie du bois – Formation, fonctions et identification, QUAE, 2015.

MOOC Anatomie du bois – France Université Numérique

https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:lorraine+30003+session04/about

La forêt et le bois en France en 100 questions

https://www.academie-foret-bois.fr/

Alex L. Shigo, H. G. Marx, Compartmentalization of Decay in Trees

https://books.google.co.uk/books?id=0IIwAAAAYAAJ&pg=PA10&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=2#v=onepage&q&f=false